La situation difficile des Tamouls dans le nord du Sri Lanka
Après l’échec en 2009 de la lutte armée pour l’indépendance, la communauté tamoule vit dans la précarité et sous haute surveillance de l’armée sri-lankaise.
Dans les villages de Kilinochchi, les ruines des maisons rappellent la violence des combats passés qu’ont subis les populations civiles. Pour cette famille, les blessures restent vives : le petit garçon de 5 ans (à droite) ne parle plus depuis la guerre.
A l’ombre des cocotiers et des aréquiers, près de maisons en ruine, la scène se rejoue à l’identique. On tire des chaises en plastique pour s’asseoir. Les palmes des arbres bruissent sous le vent chaud.
Les regards se font inquiets, chargés de la douleur du passé et de la peur de se livrer. Au fil de récits factuels et mécaniques, les mains se crispent dans les vêtements. Les voix gardent la contenance de ceux qui en ont trop vu. Des mots reviennent : obus, tranchées, armée, morts.
Ces familles tamoules des villages de Kilinochchi, dans le nord du Sri Lanka, sont encore sous le choc. Fin 2008 et début 2009, elles ont été prises dans des combats d’une extrême violence. Les soldats cinghalais de l’armée gouvernementale achevaient alors la reconquête des territoires administrés par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), une insurrection indépendantiste de l’ethnie minoritaire.
Les implacables rebelles, célèbres pour leurs escadrons-suicides et leurs enfants-soldats, perdaient du terrain. En se repliant vers la côte est, ils obligeaient leur population, soit près de 300 000 Tamouls, à les suivre dans leur chute, sous le feu de l’armée. Le 18 mai 2009, ils étaient vaincus dans leur dernier retranchement, sur une plage de Mullaitivu. Le cadavre de leur leader, Vilupillai Prabhakaran, était exhibé en boucle sur les chaînes télévisées. Et dans les rues de Colombo, la fin des Tigres provoquait la liesse, gonflée par un bouddhisme cinghalais ultranationaliste.
Destruction
Le gouvernement ouvre aujourd’hui les visites au compte-gouttes et maintient la population tamoule sous surveillance d’une armée omniprésente. Dans la ville, le commerce a repris et les échoppes sont ouvertes. Mais, à l’écart, la destruction est d’une ampleur stupéfiante. Maisons rasées, murs criblés de balles, rien n’a été épargné.
Dans le marché de Vaddakkachchi, l’herbe repousse dans le cratère laissé par l’impact d’une bombe. La jungle luxuriante du Wanni laisse entrevoir les anciennes lignes des rebelles, des champs minés et des arbres calcinés aux troncs écartelés. « Pas une maison n’est intacte, admet K.D. Saran, gouverneur de Kilinochchi. Nous aidons la population mais cela prendra du temps. »
En attendant, les familles vivent sous des tentes ou des abris de fortune. « La destruction est l’œuvre du LTTE, dénonce le général de division Ubaya Medawala, porte-parole de l’armée. Avant de fuir, les terroristes ont tout détruit. Une tactique pour nous discréditer. » Les habitants, tel Prashan, désignent un autre coupable : « C’est l’armée qui a tout nettoyé. »
L’armée omniprésente
Mais chacun admet que le chantier en cours est gigantesque. Les autorités assurent procéder par étapes : « Il a d’abord fallu réinstaller les 320 000 Tamouls déplacés », explique le général. Car, après la guerre, la population a été retenue plusieurs mois dans les camps de Menik Farm, près de Vavuniya. « Les villages devaient être déminés, précise le général Medawala. À présent, nos soldats réaménagent les routes et 7 000 maisons sont reconstruites dans le Nord. »Cette image de la normalisation suscite la colère d’un prêtre : « Mais la situation est pathétique ! Il n’y a pas d’avenir pour les Tamouls. Les bouddhistes mènent une guerre sainte. C’est une dictature, défendue par les règles de l’armée. » Comme pour lui donner raison, deux soldats font irruption dans le presbytère. Ils saluent le prêtre et observent l’entretien : un avertissement à peine déguisé.
Car l’armée prend racine. Tous les 500 mètres, sur chaque piste, pointe un T-56, le fusil d’assaut chinois des soldats cinghalais. Certes, l’armée lève peu à peu les barrages et les contrôles, et les « disparitions » de Tamouls ont diminué. Mais la présence militaire ne faiblit pas.
Les 200 000 soldats ne sont pas démobilisés. Ils surveillent, ils contrôlent. Et si les Tamouls veulent se réunir, y compris pour un mariage, ils doivent demander une permission à l’armée trois jours à l’avance. « C’est comme si ce n’était pas seulement la défaite du LTTE, mais aussi celle du peuple tamoul », critique le politicien Mano Ganesan.
Quant aux accusations d’une « colonisation » cinghalaise, elles ne datent pas d’hier. Mais la « guerre contre le terrorisme » a accéléré le contrôle de Colombo. Des lotissements cinghalais voient le jour. Les garnisons campent sur des terres tamoules réquisitionnées. À Kilinochchi, un camp siège dans l’ancien cimetière des Tigres. « Il n’y a pas de respect pour les morts », s’offusquent les habitants, qui comptent tous un parent autrefois enrôlé dans l’armée du LTTE.
Sur la côte, des pêcheurs cinghalais se voient octroyer l’accès à des zones de pêche tamoule. Et dans les campagnes, une scène insolite se découvre : de petites buvettes sont tenues par des… soldats ! Histoire d’arrondir les fins de mois, pour une armée qui a mis le Sri Lanka au bord du gouffre financier avec une offensive lancée dès 2006. « L’armée prend le contrôle de la vie civile », dénonce l’avocat Lakshan Dias. « Notre expertise et notre rôle consistent à assurer le développement, avance le général Medawala. Nous avons une vision : construire une nation. »
Nécessité de reconnaître les morts
Sous leurs abris de fortune, les Tamouls incarnent cette brutalité : veuves, handicapés, blessés, enfants aux éclats d’obus incrustés sous la peau. Chaque famille a un mort à déplorer. « Durant la débâcle, le LTTE nous a utilisés en bouclier humain, mais cette stratégie n’a pas freiné l’armée, dénonce Meera. Nous étions sous les obus et les bombes. » Des soupçons de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité entachent les deux armées ennemies.
Le Sri Lanka crie à la calomnie et refuse les enquêtes internationales. « Nous n’avons jamais ciblé les civils », martèle le général Medawala. « Il faut donner des explications sur ce qui s’est passé », fustige Mano Ganesan, qui compte sur la pression internationale. Pour les analystes, la paix et la réconciliation du Sri Lanka ne sauront pendre corps sans une reconnaissance et une justice.
Mais même le sort des prisonniers de guerre est un mystère. Douze mille Tigres auraient été capturés et isolés en détention. À ce jour, il resterait 4 000 prisonniers. Mais aucune liste n’a été communiquée et les centres sont interdits de visite. Anandhi Sasitharan garde espoir pour son mari Elilan, un ancien leader politique du LTTE.
Elle se souvient de sa reddition, sur la plage de Mullivaikal, le 18 mai. « J’ai revu mon mari ce matin-là. Un prêtre qui parlait anglais, le P. Francis Joseph, a voulu servir d’intermédiaire pour les Tigres prisonniers. Car il y avait aussi Thangan, Iniviyan, Theepan, Kutty, Babu… et Raja avec ses trois enfants. Mais on n’a jamais revu les prisonniers, ni le prêtre, ni les enfants. »
Le mois dernier, un documentaire britannique de Channel 4, démenti par Colombo, a diffusé des images d’exécutions de prisonniers par des soldats cinghalais.
Pas de place au dialogue
Et sur les murs de Kilinochchi, des affiches vantent « Sa Majesté Suprême Son Excellence Mahinda Rajapaksa ». Il s’agit du président du Sri Lanka, l’homme à l’écharpe rouge. « Il se voit en Dieu, dit un analyste. Il a défié le monde et mené sa guerre. Avec une propagande basée sur un fondamentalisme racial et religieux. »« Le Sri Lanka reste très dangereux pour les journalistes ; la peur est omniprésente et les gens s’autocensurent », avance Lal Wickramatunge, du Sunday Leader . Son frère, Lasantha, un journaliste critique du gouvernement, a été assassiné en janvier 2009, laissant une lettre posthume qui accusait le pouvoir. « Les juges sont appointés par le président, dit Lal, et nous n’obtenons pas justice pour Lasantha. »
Sivagnanam Shritharan, membre du Parlement et du TNA, l’Alliance tamoule nationale, anciennement proche des Tigres, raconte quant à lui que son véhicule a essuyé des tirs, le 7 mars dernier. « Le gouvernement ne veut pas que nous existions politiquement », assure-t-il. Son parti, qui défend l’option du fédéralisme, a pourtant raflé les votes tamouls lors des élections locales du mois dernier.
« Mais sans réel espace de discussion politique, les problèmes du Sri Lanka ne pourront pas être réglés », alerte Ruki Fernando, défenseur des droits de l’homme. Le général Madewala, lui, nie en bloc l’idée même d’un problème : « Où voyez-vous de la discrimination ? s’emporte-t-il. Il n’y a pas de discrimination contre les Tamouls au Sri Lanka. »
Merci La croix http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Monde/La-situation-difficile-des-Tamouls-dans-le-nord-du-Sri-Lanka-_EG_-2011-08-05-696207
No comments:
Post a Comment